Juchée sur son socle de verdure, l’église Saint-Julien de Royaucourt a déjà traversé de longs siècles. Ce document passionnant, rédigé par Henry de Buttet à la fin des années 1970, constitue un véritable travail de mémoire qui permet, non seulement de mieux connaître les différentes étapes de sa construction, mais aussi de découvrir, parallèlement, la vie quotidienne des habitants du Laonnois.

Militaire de carrière, héros de la Résistance et historien, le colonel Henry de Buttet, Officier de la légion d’honneur, Croix de guerre 1939 – 1945,  dirigea la « section ancienne » du Service Historique des armées. Retraité, il devient conservateur du Musée de l’Armée aux Invalides. Il fut également président de la Fédération des Sociétés Historiques de l’Aisne et président de la Société historique de Haute Picardie.

Issu d’une vieille famille de la région, Henry de Buttet disposait d’une résidence à Royaucourt- et-Chailvet, la cidrerie du château où il s’installa définitivement à partir de 1988.

Membre des Amis de St-Julien de Royaucourt, il contribua à la connaissance de l’histoire de l’église et écrivit le récit du Son et Lumière qui s’est déroulé dans l’église en 1975 et 1980.

La naissance de l'église

L’église Saint-Julien de Royaucourt a traversé 7 siècles déjà, elle en traversera d’autres. Elle est née au temps où la foi se manifestait par l’édification des cathédrales que la piété de nos ancêtres a jadis dressées vers le ciel à la gloire de Dieu et de Notre Dame.

Depuis Charlemagne, une véritable renaissance s’était manifestée en Occident : les arts, les sciences de l’Antiquité avaient été remis en honneur grâce à la fondation d’universités, d’écoles, grâce surtout à la création d’abbayes, foyers de développement religieux, social, économique et culturel. Dans notre pays picard existaient de nombreux monastères : Saint-Crépin, Saint-Médard à Soissons, Saint-Vincent, Saint-Jean à Laon.

Dans la première moitié du 12ème siècle, avec Barthélemy de Joux, évêque de Laon, de nouvelles abbayes se sont multipliées sous l’impulsion des grands ordres religieux : Foigny, Vauclair, Bohéries, Montreuil les Dames, Prémontré, Saint-Martin de Laon, Cuissy, Clairefontaine…pour n’en citer que quelques-unes.

Ce mouvement de foi s’est poursuivi au Moyen-Age, a présidé à la construction de cathédrales, et s’est traduit dans nos campagnes par l’édification d’églises romanes d’abord comme celles de Bruyères, d’Urcel, de Nouvion-le-Vineux, après la Chapelle des Templiers de Laon, puis ensuite d’églises gothiques comme celle de Saint-Julien de Royaucourt.

A la différence de l’art roman, caractérisé par l’épaisseur des murs, le plein cintre des voûtes, la rareté des ouvertures, l’emploi d’arcs brisés, de nervures de voûte, d’arcs boutants épaulant les hautes nefs caractérise l’art gothique.

Les architectes adoptent des procédés nouveaux de construction, et donnent ainsi à leurs églises et à leurs cathédrales plus de grandeur et de légèreté. Cela permettait en outre à la lumière d’y pénétrer plus largement par les fenêtres et les verrières.

Nouvion-le-Vineux

Commencée dans les toutes dernières années du 12è siècle, bâtie aux 13è  et 14è siècles, l’église Saint-Julien de Royaucourt se distingue des autres églises de notre pays par la hauteur de sa nef, par le profil effilé de sa flèche, de ses cloches, de sa nef, par l’élégance particulière de sa silhouette. Le soir, au soleil couchant, les vitraux de sa rosace et de la baie qui ornent sa façade brillent de mille feux, scintillent comme des diamants. Elle est née au temps de la chevalerie, où la foi se traduisait aussi par un entraînement passionnel qui poussait la chrétienté à se lancer dans des entreprises lointaines et aventurées pour la délivrance des lieux saints. Elle a été commencée au temps du mouvement communal avec la prise de conscience du peuple, des bourgeois dans les villes, des ruraux dans les campagnes, par réaction contre le désordre et l’arbitraire féodal.

Ce mouvement était soutenu par le souverain qui, pour affermir son autorité, devait lutter contre les féodaux autant que contre l’étranger envahisseur.

Ici comme ailleurs, l’église a été, pendant des générations, l’œuvre de toute la population, et chacun a participé à sa construction à la mesure de ses moyens, les uns en faisant donation de leurs deniers ou de leurs biens comme les Roucy et leurs vassaux à leur départ pour la croisade, ou à leur retour quand ils revenaient vivants de cette expédition périlleuse, les autres en contribuant de leurs mains aux travaux de terrassement, à l’extraction et au transport des matériaux, à la construction du sanctuaire avec les architectes, les compagnons et artisans, tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, couvreurs sous la conduite du maître d’œuvre.

Quelle est l’origine de l’église de Royaucourt ?

Une légende forgée au début du 19ème siècle avait attribué la fondation de cette église aux Templiers. Il est vrai qu’elle a été construite sur un domaine qu’un certain Nicolas d’Espagne, de la famille des comtes de Roucy, avait donné aux Templiers de Laon en 1147, mais ceux-ci le revendent treize ans plus tard, en 1163, à Gautier, trésorier de l’église-cathédrale de Laon, neveu de l’évêque Gautier de Mortagne.

Les Templiers ne possédaient plus rien à Royaucourt quand la construction de l’église a été entreprise.

C’est aux seigneurs de Roucy et aux trésoriers de l’église-cathédrale, à Gautier, à Enguerrand de Chimay neveu de l’évêque Roger de Rozoy, à Itier, frère de l’évêque Anselme de Mauny, et à leurs successeurs qu’est due la construction de cette église dont le chœur est la partie la plus ancienne.

Itier de Mauny affranchit en 1255 les serfs de Royaucourt, et on peut se demander si cela n’est pas lié à l’édification de l’église.

Nous ignorons le nom des maîtres d’œuvre qui dirigèrent les travaux. Nous ne savons pas d’où les pierres ont été extraites : les carrières les plus proches sont celles de Montbavin. Mais peut-être le trésorier disposait-il, comme pour Liesse, du surplus des matériaux qui avaient servi à la reconstruction de la cathédrale de Laon. Le bois de chêne utilisé à cette époque provenait de la forêt de Saint-Gobain.

L’ancienne paroisse de Royaucourt, comme de nos jours la commune de Royaucourt et Chailvet, se composait de deux hameaux. Royaucourt, où s’élève notre église, et Chailvet, où se trouve le château. La moitié de la seigneurie relevait de la Duché-Pairie, c’est-à- dire de l’évêque de Laon. L’autre partie ainsi que le Bas-Chaillevois avait au 12è siècle le comte de Roucy pour suzerain. Elle était possédée au 13è siècle par Clarembaud de Chièvres, au 15èsiècle par Jehan de Saint-Basles et au 16èsiècle par les la Vieuville.

En 1554, Pierre de la Vieuville gouverneur de Reims, Mézières, et du Rethélois fit échange avec le trésorier l’acquisition des terres qui avaient appartenu quelques temps aux Templiers quatre siècles plus tôt et fit construire le château de Chailvet avec ses douves larges et profondes.

Jusqu’à la Révolution, ses successeurs reconnurent comme suzerain l’évêque de Laon, titulaire de la Duché-Pairie, et lui rendaient foi et hommage. Mais l’église de Royaucourt allait rester sous le patronage du trésorier de l’église-cathédrale qui nommait les curés, et percevait les fonds provenant des donations ou aussi de la vente des images, médailles, et cierges aux pèlerins de Saint-Julien.

Les douves

Le pèlerinage de Saint-Julien

L’église, à l’origine, avait été consacrée à Saint-Jean Baptiste, mais avait été vouée par la suite au culte de Saint-Julien. C’était un lieu de pèlerinage local où l’on se pressait autrefois. Nous ne savons pas quand il s’établit, mais les archives montrent qu’il existait déjà en 1463.

Qui était Saint Julien ?

Il s’agit de Saint-Julien de Brioude, l’un des plus fameux martyrs de la Gaule. Tribun romain, il tenait garnison à Vienne dans le Dauphiné. En l’année 304, au temps de la persécution de Dioclétien, il fut décapité près de la ville de Brioude, en Auvergne, où il s’était réfugié. Il s’était livré à ses bourreaux pour éviter que ceux qui le cachaient soient victimes de représailles.

Trois siècles plus tard, sa tête fut retrouvée par Grégoire de Tours et Saint-Mamers. Le tombeau du martyr devint à Brioude un lieu de culte. Les miracles qui s’y faisaient tiennent une grande place dans la légende dorée du Moyen-Age. Aux 11èet 12èsiècle fut bâtie à Brioude une imposante basilique romane, la plus belle d’Auvergne, et c’est un haut-lieu des pèlerinages anciens où les rois de France s’arrêtaient quand ils se rendaient au Puy. Le culte de Saint-Julien se répandit dans toute la France et de nos jours, près de 300 églises portent encore son nom. Ce culte fut apporté en Picardie par Grégoire de Tours lui-même, semble-t-il. A Laon, en 1171, une église collégiale consacrée à Saint-Julien avait été fondée par Hugues, Abbé de Saint-Vincent, à l’emplacement d’un oratoire très ancien consacré lui-même au saint martyr dès le 9è siècle.

L’église de Royaucourt possédait jadis une relique de Saint-Julien dans un beau reliquaire d’argent qui disparut à l’époque de la révolution.

A cette même époque, des iconoclastes ont mutilé la pierre tombale, maintenant dressée dans l’église sur le bas-côté gauche. Ce chef d’œuvre de la Renaissance rappelle le souvenir de Pierre de la Vieuville, seigneur de Royaucourt et Chailvet mort en 1569 et celui de son épouse Catherine de la Taste morte treize ans plus tôt.

Il nous reste, à défaut de relique, une belle statue polychrome du 17èsiècle récemment restaurée, et placée elle aussi, sur le bas-côté gauche de l’église. Elle répond à la description des armoiries enregistrées en 1697 pour l’église Saint-Julien de Laon : le martyr de Brioude est représenté armé d’une cuirasse à la romaine, il tient de la main gauche un livre saint couvert d’or et de la main droite une épée d’argent, les garde et poignée d’or.

Royaucourt était un lieu de pèlerinage ancien, et cela explique l’importance architecturale de l’édifice, hors de proportion avec le nombre de ses habitants. La paroisse comptait à peine 50 feux et 224 habitants au 18è siècle. Juchée sur son socle naturel et dans son cadre de verdure, l’église apparaît, de nos jours encore, comme un reliquaire. Grégoire de Tours nous a rapporté les miracles attribués à Saint-Julien : guérisons de muets, d’aveugles, de paralytiques, apaisement d’énergumènes, libération de possédés, retrouvailles de gens perdus.

Cette église attirait les fidèles des paroisses voisines par l’éclat de ses processions : nous en trouvons le témoignage dans le bail qu’en 1644, Nicolas Le Nain, frère aîné des célèbres peintres, avait consenti à un laboureur. Celui-ci, en plus de la redevance qu’il devait leur payer au temps des vendanges en leur maison de Bourguignon, devait aussi donner chaque année la somme de 10 sols « pour être employés en pain et en vin à distribuer aux petits enfants de Mons venant en procession le jour des Rogations à l’église de Royaucourt ».

L’Église de Royaucourt a un autre intérêt : elle est un témoin du passé, et nous aide à connaître l’histoire des hommes de ce pays. Les cloches réglaient autrefois le village de l’angelus au couvre-feu. Lieu de prière et de recueillement, l’église était la maison commune où tous les habitants se retrouvaient aux offices dominicaux et aux fêtes paroissiales. Le seigneur avait une place privilégiée qui lui était réservée dans le chœur, en attendant d’y avoir son tombeau.

Les fidèles se tenaient dans la nef où étaient disposés des bancs. C’était aussi un lieu de réunion et de communication. Le curé, chef spirituel de la paroisse, faisait connaître au prône les mandements de l’évêque suzerain, et aussi les ordonnances émanant de l’autorité royale.

Le terrier de 1555

En 1554, lorsque Pierre de la Vieuville,  seigneur de Royaucourt et Chailvet, réunit à son domaine, par échange, les terres achetées jadis aux Templiers par le trésorier de l’église-cathédrale de Laon, c’est à la sortie de la messe paroissiale que les notaires royaux du bailliage du Vermandois convoquèrent tous les habitants et les invitèrent à se présenter le 29 juillet devant le portail de l’église pour que soit effectué le dénombrement de toutes les terres, prés, vignes, bois, maisons, granges, bref de tout ce qu’ils détenaient à différents titres. Il en est résulté un document précieux conservé aux Archives de l’Aisne : le Terrier de 1555 donnant sur notre village, en plus de 400 pages de renseignements précis. Nous y trouvons le nom de toutes les familles, dont certaines étaient, il n’y a pas si longtemps ou sont encore représentées parmi nous, comme les Lainel, les Tarju, les Sodoyer, les Godefroy, les Désirot…Nous y trouvons aussi l’énumération des lieux-dits comme : la Croix Bénite, la Tortue, les Basses Vignes, le Routis des Vaches, la Voie au loup, etc. Dont les noms ont subsisté, et d’autres qui ont disparu comme la « Rue de la dame Jehanne », nom ancien du chemin qui mène à l’église et plus tard s’est appelée la « grand rue ». Sur le chemin de Chailvet, au Comporté, est même désigné l’emplacement des « fourches patibulaires » qui, au siècle précédent, avait été le lieu d’exécution des sentences criminelles au temps où Jean de Saint-Basles exerçait la haute justice. C’est là qu’étaient pendus les brigands condamnés.

Le recensement des terres avait été jugé nécessaire parce que les titres de possession avaient été perdus ou détruits « tant par les invasions des ennemis de la France que par le feu ». Cela confirme ce que nous savons sur la vie précaire qu’ont menée les habitants de notre pays aux 14ème, 15ème, 16ème siècles… Pendant la guerre de Cent ans, la misère, la terreur, la violence régnaient partout. Longtemps encore après, nos campagnes ont été ravagées par les vagabonds, les bandes armées, les loups. Elles ont été la proie des gens de guerre amis ou ennemis, jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Ce n’est qu’après la victoire de Denain, en 1712, que la Picardie allait enfin connaître la paix, retrouver la prospérité. Jusqu’à la Révolution, elle n’aurait plus à subir le joug de l’invasion étrangère.

Les registres paroissiaux

Les registres paroissiaux de cette église, conservés aussi aux Archives de l’Aisne, nous donnent une idée plus complète de la vie des habitants de Royaucourt et de Chailvet à partir de 1655 jusqu’à la Révolution. Ces registres ont valeur de documents officiels. Nous y trouvons une masse de renseignements enregistrés par le curé à l’occasion des principaux actes de la vie religieuse et familiale : des baptêmes, mariages, funérailles. Nous relevons parfois des détails qui nous étonnent : ainsi, le 6 mai de l’année 1762, douze enfants de la paroisse faisaient leur première communion. Les plus jeunes avaient 14 ans, les autres 16, 17, 18 ans. Nous y trouvons aussi à la date du 25 août 1718, l’acte de baptême de la grosse cloche de l’église, aujourd’hui disparue, nommée Françoise-Crépine, du nom de sa marraine épouse de Charmolue de la Garde, seigneur de Royaucourt et Chailvet.

Malheureusement, n’ont pas été notés sur ces registres, comme dans certaines autres paroisses, les événements, ni les calamités qu’ont connus autrefois les populations comme l’épidémie de peste de 1668, comme après celui de 1694 le « grand hiver », l’hiver terrible de 1709 qui détruisit dans leur totalité les cultures, la vigne, les arbres fruitiers, et dont il est résulté une épouvantable famine.

En revanche, nous pouvons y recueillir une masse d’informations d’un immense intérêt pour l’histoire sociale du village. Il est fait mention, en effet, des métiers qu’exerçaient les habitants.

Brice Pépin était berger, François Leriche, jardinier, Lefèvre scieur de long, Dézirot était maçon, Vigneron, manouvrier à la Capignolle (sans doute chez Baudoin Le Nain grand-père ou oncle de nos fameux peintres laonnois). Pierre et Nicolas Normand étaient les meuniers du moulin de Chailvet. Avec les laboureurs, nous trouvons surtout des vignerons dont les noms sonnent familièrement à nos oreilles : les Cuvereau, Joré, Balidoux, Tarju, Bédin, Bigot, Sauvrezis, Sodoyer, Debove, Monceau, Menu, Lainel, Dhimbert, Flamand etc.

Nous remarquons que la plupart des habitants savaient lire et écrire, ce qui, à cette époque, était assez rare. Mais nous n’en sommes pas surpris : depuis 1664, et jusqu’à sa mort survenue en 1709, Ambroise Leriche, greffier de Royaucourt et clerc laïc de l’église, enseignait le catéchisme aux enfants et leur apprenait à lire et à écrire dans le presbytère qui avait été construit à gauche du sanctuaire, auquel il était accolé d’ailleurs de façon fort disgracieuse. En 1758, Etienne Dessein, clerc laïc lui aussi, était maître d’école de la paroisse.

Le terroir de Royaucourt-Chailvet comprenait jadis 50 hectares de labours, où étaient cultivés le froment, le méteil et l’orge, 25 hectares de vignes, 18 hectares de prés et 50 hectares de bois. Les ¾ appartenaient aux nobles et surtout aux ecclésiastiques. Le clergé (diocèse, chapitre, prieurés, abbayes) en possédait une très grande partie. Mais les ordres privilégiés ne contribuaient pas à proportion de leurs revenus aux lourdes charges qui pesaient sur le peuple : ce fut une des causes de la Révolution.

Le cahier de doléances

Le 1er mars 1789, à la requête du bailli du Vermandois, l’assemblée de Royaucourt et Chailvet fut convoquée à son de cloches « à la manière accoutumée ». Par ordonnance du 4 janvier, le roi avait décidé de réunir les Etats Généraux pour que « lui soient proposées les réformes à apporter dans le royaume en ce qui concernait : les besoins de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans l’administration et le bien-être de chacun de ses sujets ». Au prône de la messe paroissiale, lecture en avait été faite par l’abbé Lefèvre, curé de Royaucourt, et le texte en avait été affiché à la porte principale de l’église. Nicolas Lenel et Jean-Baptiste Ogée furent désignés aux voix pour rédiger le cahier de doléances, plaintes et remontrances, qui fut présenté au bailli de Vermandois le 9 mars. Ce cahier figure aussi aux Archives de l’Aisne. Avec la signature des Balidoux, Dézirot, Leriche, Oger, Desaint, Monceau, Sauvrezy, Flacon, ce document très significatif montre les principales préoccupations des habitants. Elles concernent d’abord l’exorbitance des frais de justice et la voracité des gens de loi à cette époque très procédurière. Mais les plaintes portent surtout sur la multiplicité des droits et taxes payés pour les céréales, et surtout pour le vin (aux droits de pressurage, affourage, halage, rouage, vinage, payés localement quand il était pressé, s’ajoutaient bien d’autres taxes : droit de courtage, de jaugeage, de remuage, de composition, etc…

Le temps des pommiers et du cidre

Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, la concurrence des vins du Midi, favorisée par le développement des chemins de fer et les ravages causés par le phylloxéra, entraînèrent la ruine des vignes qui furent arrachées. A leur place, furent alors plantés des pommiers, et jusqu’à la guerre de 14/18, le cidre prit chez nous la place du vin. Le cidre de « Saint-Julien » eut en son temps une flatteuse réputation, et obtint dans les concours nationaux des distinctions méritées. Ce succès était dû au développement de certaines variétés locales de pommiers provenant, les unes de Saint Nicolas aux Bois, comme la « grisette », la « petite charlotte dure », la « Normand », les autres de Bruyères comme la « pierson », la « fraisette », la « barbary », mais aussi des variétés comme la « court-pendue », la « rosa » qui ont presque disparu maintenant.

Avec la guerre de 39/45, le cidre est devenu rare dans toute la France, et les pommiers ont été arrachés à grands frais en Bretagne, en Normandie, voire en Thiérache. Les nôtres, souvent centenaire et mangés par le gui, disparaissent peu à peu.

La cidrerie

Retour sur la Révolution

Nous avons ouvert une large parenthèse pour évoquer la vie d’autrefois dans ce pays. Cependant, pour connaître notre église, il nous faut faire marche arrière et revenir au temps de la Révolution. Le 4 août 1789, le clergé avait renoncé aux exemptions financières dont il avait le privilège, puis ses biens avaient été confisqués : ses terres, ses maisons, devenues biens nationaux, avaient été mises aux enchères publiques.

En 1790 était votée, malgré le roi, la constitution civile du clergé. Le nombre des évêchés de la France était diminué de moitié, et le département de l’Aisne n’aurait plus qu’un évêque, celui de Soissons. En outre, une grave atteinte était apportée à la hiérarchie ecclésiastique traditionnelle et allait susciter la révolte des clers : les curés et évêques devaient être désignés par voie électorale. Ils avaient obligation de prêter serment comme fonctionnaires, et n’étaient plus soumis à l’autorité du souverain pontife. C’était dénier à l’Eglise Catholique son caractère universel. Le Pape Pie VI, chef de l’église, ayant formellement condamné la Constitution Civile du clergé, Monseigneur de Bourdeilles évêque de Soissons, et Monseigneur de Sabran évêque de Laon refusèrent de prêter serment, quittèrent leur siège épiscopal et s’exilèrent jusqu’en 1792 où une loi obligea les prêtres réfractaires à quitter la France. De même l’abbé Lefèvre, curé de Royaucourt depuis 27 ans, refusa de prêter serment. Sa signature apparaît pour la dernière fois le 27 mars 1791 dans les registres paroissiaux. Le 25 mai suivant, figure celle d’un nouveau curé, l’abbé Salvy, prêtre constitutionnel.

A partir de septembre 1792, le registre paroissial est tenu par le maire de la commune de Royaucourt et Chailvet, car il est utilisé désormais pour l’enregistrement des actes de l’état civil. Antoine Cuvereau, « officier public » est alors chargé d’y inscrire les naissances, mariages, décès…et bientôt les divorces. Sous la signature de Lenel, le maire, à la date du 8 décembre 1792, est porté le jugement de divorce prononcé au profit de Marie Françoise de Bignicourt, la châtelaine de Chailvet à l’encontre de son mari François de la Garde de Saignes, ancien capitaine de cavalerie, qui a pris le chemin de l’émigration.

Avec la terreur apparaît la persécution…Les cathédrales, couvents, églises sont vidés de leur contenu : les tableaux sont détruits, les statues brisées, les ornements dispersés. C’est le pillage…Sous prétexte que les clochers s’élevant au-dessus des autres édifices violent le principe de l’égalité, leur destruction est effectuée. Ainsi disparaissent les flèches de la cathédrale et des églises de Laon. Par bonheur, notre église a échappé à cette mutilation barbare, mais a été vidée de son contenu.

L’évêché de Laon ayant été supprimé, et celui de Soissons devenu vacant, Eustache Marolles est élu difficilement évêque pour le département de l’Aisne à Soissons, et sacré à Paris par Talleyrand. Mais il démissionne en 1794, et n’aura pas de successeur car le culte est alors proscrit.

Le XIXe siècle

C’est sous le Consulat de Bonaparte, en 1801 seulement, qu’avec le Concordat, allait renaître la paix religieuse en France. Alors la paroisse de Royaucourt reprend vie. Elle s’accroît même car les habitants de Bourguignon lui sont rattachés. Jusqu’alors et depuis des siècles, Bourguignon relevait de la paroisse de Montbavin dont l’église très ancienne est consacrée à Saint-Hilaire. Cette paroisse, à la différence de Royaucourt, relevait non du trésorier, mais du chapitre de la cathédrale de Laon. C’est dans les registres paroissiaux qu’est inscrite l’histoire de Bourguignon, lui aussi village de vignerons où les frères Le Nain avaient leur vendangeoir au 17èsiècle, et qu’a illustré cette délicieuse femme d’esprit qu’était Madame de Cuizey. Bourguignon possédait jadis une chapelle consacrée à Sainte Madeleine dépendant de l’abbaye de Saint-Vincent, mais cette chapelle a disparu à la fin du 18èsiècle.

La communauté paroissiale de Royaucourt s’était donc très heureusement élargie. Cela affermissait les liens de voisinage et d’amitié, les liens familiaux et professionnels qui, depuis longtemps, unissaient Bourguignon et Royaucourt, et c’est en parfaite harmonie que le conseil de fabrique, composé de personnalités de ces deux villages, allait, pendant un siècle, mener à bien la restauration de l’église rendue nécessaire par les années d’abandon. En 1820, de nouvelles cloches remplacèrent celles qui avaient disparu sous la Révolution. Mais l’édifice demandait d’importants travaux. Parmi les archives conservées rue de Valois à Paris, au Ministère de la Culture, se trouvent les volumineux dossiers donnant le détail des travaux auxquels sa restauration a donné lieu depuis 1838, année où l’église a été classée au nombre des monuments historiques. Ils montrent avec quelle persévérance le conseil de fabrique s’est battu pour la sauver de la ruine…et nous pouvons mesurer les efforts constants et les sacrifices consentis alors par les habitants pour que ce patrimoine commun nous parvienne dans son intégralité. Ce fut une entreprise patiente et obstinée. Sous la plume de l’abbé Sablière, curé de la paroisse depuis 1828, celles du chevalier de Barive, de Michel Gondallier de Tugny, d’Armand, de Hédouville, de Joseph de Saint-Preux, se sont multipliés, d’année en année, les appels aux pouvoirs publics, car la fabrique et les municipalités ne disposaient pas des ressources suffisantes pour faire face à la part des dépenses qui était mise à leur charge et dépassait leur budget.

En 1895, il avait fallu démolir l’ancien presbytère qui commençait à s’écrouler et déparait la façade de l’église à laquelle il était adossé de la façon la plus déplorable.

La malchance s’en mêlait : en 1890, puis en 1896, et en 1901, la foudre tomba sur le clocher, causant d’importants ravages. Néanmoins, à force de patience et de soins, l’église de Royaucourt avait retrouvé sa splendeur d’antan.

Gravure de 1854

La Grande Guerre

Si elle avait été sauvée des épreuves du temps, avec la guerre de 14/18, elle allait subir le ravage des hommes ! En l’espace de 130 ans, ce pays a connu cinq fois l’invasion ! En 1814, puis en 1815 avec les Prussiens et surtout les Cosaques. Après 1870, ce fut encore l’invasion et l’occupation.

Mais en 1914 et jusqu’en 1918, ce fut bien pire encore, car nous étions et sommes restés pendant quatre ans un champ de bataille !

Le 3 août 1914, les cloches de l’église, avec celles des villages voisins, sonnaient à toute volée : le tocsin annonçait le déchaînement du fléau qui allait ensanglanter l’humanité entière. On entendit le roulement des trains allant à la frontière puis le grondement du canon qui se rapprochait et le 2 septembre apparaissaient les premiers uhlans, suivis des fantassins allemands.

Pendant quarante mois, le pays allait rester aux mains de l’occupant : il fallut vivre sous sa botte dans la peur et la misère. Les prés, les champs, les bois se couvrirent de tranchées et d’abris, se hérissèrent de barbelés, se creusèrent de trous d’obus. A proximité du champ de bataille, nos villages subirent les bombardements d’artillerie. En 1917, au moment de la bataille du Chemin des Dames, nos villages ont été évacués par les Allemands, les habitants chassés de chez eux, les demeures entièrement pillées. Quand, en octobre 1918, le pays fut enfin libéré, presque toutes les maisons étaient détruites, les arbres criblés de mitraille, et il n’y avait plus un seul oiseau.

L’église, par miracle, était encore debout mais elle avait beaucoup souffert : le toit avait été soulevé par le souffle des obus, des vitraux avaient été pulvérisés, un projectile avait éclaté dans la première travée du chœur… le carton bitumé fit office de toit, le papier huilé remplaça les verrières… mais il fallut plus de cinq années pour que l’église soit remise en état. Le mobilier avait totalement disparu : des chaises remplacèrent les anciens bancs.

Deux des cloches furent bénies par Monseigneur Mennechet, évêque de Soissons, le 12 avril 1931. Celle de Royaucourt-Chailvet, Philippine Zulma Marguerite Marie, ayant pour parrain Hervé de Hennezel et pour marraine Madame Gadret, et celle de Bourguignon, Xaverine Louise Marie Thérèse, ayant pour parrain le commandant de Buttet et pour marraine Mademoiselle Louise du Tartre.

Avec une des cloches datant de 1820, qui avait été retrouvée, ce sont celles qui sonnent encore aux échos les jours de fête ou de deuil…

1920
1930 Communion

La Deuxième Guerre Mondiale

En 1940, après les combats dramatiques de mai et de juin, nous allions connaître une fois de plus l’invasion et plus de quatre années d’occupation, avec leur cortège de misère : perte de toute liberté, restrictions, prélèvements, réquisitions, déportations… A la fin de ce cauchemar, quand le 29 août 1944, les derniers Allemands quittèrent ce pays, ils laissaient derrière eux deux énormes brasiers : le château de Chailvet, et celui de la Grand Maison qu’ils avaient incendiés… Notre église cependant était sortie indemne de la tourmente, la bataille s’étant livrée plus loin cette fois.

Les années 1970

Bien des années ont passé depuis…et les familles de ce pays se sont renouvelées plusieurs fois déjà. Mais comme autrefois, nos municipalités de Chailvet et de Bourguignon eurent à résoudre un problème difficile : le clocher de notre église devait être restauré. Or la dépense à envisager était hors de proportion avec leurs ressources, compte tenu de la part qui incombait à l’Etat. C’est par la création d’une association, « Les Amis de l’Eglise Saint-Julien de Royaucourt », par son action et par les deniers qu’elle a recueillis, qu’a pu être mise en œuvre la machine administrative, grâce surtout à la Direction des Monuments Historiques et des Bâtiments de France. Le clocher a maintenant son revêtement d’ardoises, et, depuis le 17 juin 1975, à son sommet, un nouveau coq semble vouloir défier le temps et scruter l’horizon des aurores nouvelles.

Nous vous avons conté l’histoire de l’église Saint-Julien de Royaucourt. Les siècles ont couru depuis sa construction, avec son cortège de tristesses et de joies.

Nos villages, nos églises maintes fois détruits ont été rebâtis avec constance et fidélité…. Une jeunesse plus belle et plus généreuse que jamais se lève et c’est un gage de renouveau et d’espoir. Mais elle sait bien, elle aussi, que l’avenir c’est vite le présent et bientôt le passé.

Dans notre paroisse rurale, où les morts sont plus nombreux que les vivants, notre église reste un lieu de prière. Le dévouement des prêtres qui s’y sont succédé a permis jusqu’ici qu’elle ne devienne pas, comme tant d’autres, un monument inerte et vide livré à l’indifférence du touriste, mais un foyer de la régénération chrétienne qui reste une chance pour la renaissance de demain.

L’église demeurera après nous, dominant notre vallon de sa fière silhouette, longtemps encore son clocher préservera des feux du ciel les générations futures.

Poursuivez votre chemin ! Reprenez votre route ! Mais gardez en votre mémoire la belle image de cette église, témoin du passé, témoin du présent, témoin enfin d’une Présence qui depuis sept siècles s’est perpétuée parmi nous.

Henry de Buttet